Brève de métro

In Humeurs
Scroll this

Il rentre dans la rame à l’instant où les portes se ferment. Il fait du bruit, un peu trop au goût, des autres passagers.

On lève le regard sur lui, pour très vite l’éviter. Regarder scrupuleusement ses pieds.

Juste avant, Michel, 57 ans, anciennement dans le bâtiment, a pris tout ce que la rame pouvait avoir de générosité.

Mais il ne demande rien et sort de sa poche un petit flacon de parfum, pour s’en asperger.

Il s’assoit à côté de moi, et met dix minutes avant d’oser m’aborder.

.

img_9473-jpg_effected

.

« Mademoiselle, si je vous donne un numéro vous pouvez appeler? Vous gardez votre téléphone dans la main, je veux juste que vous transmettiez un message à un ami »

Je dis oui, non pas par bonté, mais parce que je suis prise de court et que je ne saurais pas dire non.

Tout le monde me regarde de côté, en pensant que je suis folle ou imprudente.

Le message est passé, il a rendez vous à quatorze heure. Cela le rassure ce repère dans sa journée.

Pour me remercier, il sort un vieux papier de sa poche et me lit une chanson de Mouloudji

Les femmes de la ville ont vieilli cet été,
Les plaintes inutiles, c’est si lourd à porter !
Pour toi, voici le temps d’amours adolescentes
Et tu lis le journal par d’autres déplié
Que les matins sont longs, ô phrases décevantes !
Et les amours finissent avant qu’on ait osé

Il me dit qu’il ne peut plus chanter, sa voix a cassé.

Il me dit que sa mère est à Granville et qu’il va tout faire pour la rejoindre.

La nuit dernière, il a dormi sur un palier et en se réveillant, il ne savait plus où il était.

Il me parle de cet homme qui lui a proposé du jardinage, toutes les heures il se répète l’adresse et le lieu du rendez vous, pour ne pas oublier.

C’est qu’il a envie de travailler, c’est le travail qui, un jour, n’a plus voulu de lui.

Il me raconte qu’il s’appelle David Lévy et que le samedi il part se laver au mikhev à Saint Paul.

L’eau y est chaude et après il sent bon, il retrouve sa dignité.

Il me précise qu’il n’est pas israélite mais chrétien et même un peu crétin.

Et puis il me salue en me baisant la main, et s’en va.

Et moi je me rends compte dix minutes trop tard, que je n’ai pas pensé à lui demander si il avait mangé.

J’espère que vous irez jusqu’à Granville, David Lévy, grand homme, à la voix cassée par le chagrin, dans mon métro du matin.

J’ai écouté les hommes de la ville de Mouloudji aujourd’hui et j’en ai eu les larmes aux yeux pour vous.

Merci pour cette chanson.

Je vous embrasse

Elisa

36 Comments

  1. Ces furtives rencontres nous apportent tant – un grand bol d’humanité qui perturbe la routine du quotidien. En quelques secondes, nos certitudes sont remises en question.

    Mais je me dis que Mr Lévy a du instinctivement sentir que c’est vers toi qu’il fallait aller dans cette rame – on est si nombreux à parfois avoir du mal à sortir de nos préjugés. J’espère que son rendez-vous s’est bien passé et qu’il a pu faire ce travail si important pour lui.

    Merci Elisa pour ces mots si sensibles et pleins d’empathie.

    • c’est tout l’inverse et cela remet les idées bien en place. merci pour ton mot

  2. Ah bon il y a des jolies histoires dans le metro? Dans mes souvenir je ne garde que les odeurs de mauvaise haleine et de transpiration, de la barre centrale toute mouate et des hommes qui me collent de trop. ..

  3. Une brève très touchante ! Un homme très touchant! Des situations qui nous rappelle à quel point il faut apprécier ce que nous avons. Continuons à faire attention à ceux qui en ont besoin. Il a dû se sentir en confiance pour vous avoir abordé. Bravo à vous pour cette belle action! Merci pour ce beau partage j’espère aussi qu’il a pu arriver à destination.

  4. Faire preuve d’humanité et d’empathie n’est pas chose facile surtout dans le métro mais quel bonheur quand on se laisse aller dans cet échange et cette réciprocité ça donne de chouettes rencontres et de beaux souvenirs qui nourissent …

  5. J’habite à Toulouse et en début de semaine j’ai ecrit à la mairie
    Mon courrier fait écho à ton post il s’appelle :
    DE L’HERBE ET UN HUMAIN

    Ce matin en me rendant au métro il était revenu.
    Il dormait contre le mur de la prison Saint Michel.
    Il dormait sur son fauteuil roulant avec une couverture sur les genoux.
    Il avait passé la nuit dehors.
    Cela fait bientôt un an qu’il vient, repart, revient.
    Dans la chaleur écrasante de l’été ou le froid de l’hiver il est là.
    Des personnes du quartier lui apportent à manger et à boire.
    Il s’est installé à cet endroit car les toilettes publiques sont à côté.
    Il regarde les gens passés, il coud de temps en temps, fume une cigarette de fortune.
    Il ne parle pas français, il est polonais.
    Non loin de là il y a le stadium.
    Les soirs de matchs et si l’affiche est attractive il voit défiler des jeunes, des familles qui vont passer 90 minutes de plaisirs exutoire.
    Il regarde ce manège.
    Vous allez me dire des personnes dans la rue il y en a beaucoup. Certains me répondront qu’ils l’ont bien cherché, qu’il faut travailler….
    D’autres me diront qu’il n’a qu’à rentrer chez lui en Pologne ou ailleurs mais surtout loin de chez nous, loin de leur vue.
    Je ne résonne pas comme cela.
    Moi je ne comprends pas.
    Je ne comprends pas les sommes engagées à mettre aux normes ce stade pour la venue de l’EURO, les multiples changement de pelouses, le remplacement de celle des allées Jules Guesde suite à la FAN Zone de l’EURO et qu’un humain reste à dormir dehors un 15 novembre dans un fauteuil roulant.
    Je ne comprends pas que l’humain soit moins important que de l’herbe.
    J’ai reçu les taxes d’habitation et la foncières, elles ont encore augmenté.
    Je me dis que je paie une pelouse moi qui aimerait offrir un endroit chaud à cet homme.
    Cela se passe en bas de chez moi et j’ai honte de Nous.

    • comme je partage ton indignation…comme tu as eu raison d’écrire cette très belle lettre…depuis quelques temps un homme vient sonner à ma porte..il n’a pas toute sa tête..il veut juste de la compagnie et à manger ou un café…je n’ai pas osé le faire rentrer car j’étais seule..mais je lui ai donné de quoi se restaurer dignement…cela m’a bouleversée… cela me rend toujours malade de voir tous ces gens dehors…j’ai été choquée d’en voir autant à Paris il y a peu (j’habite en Bretagne)…stop aux choix et absurdes et à l’égoïsme…les mauvais jugements sont rapides et tellement faciles…belle journée à toi

    • c’est bouleversant ! je partage votre vision des choses et j’ai le cœur bien lourd en voyant de telles situations… bravo à vous, votre courrier est splendide !

  6. Ta bonté se lit sur ton visage et l aura que tu dégage, ainsi tu distillés ton bonheur et tes bonnes ondes, a nous qui te lisons, à toutes ces personnes qui ont la chance de croiser ton chemin, que tu as raison de ne pas repousser malgré leur apparences et qui ensuite t’offre leur confiance
    Merci detre la et detre toi!

  7. C’est une belle rencontre et vous avez fait pour lui ce qu’il vous semblez bon à son égard..C’est assez touchant et plein d’humanité..

  8. Magnifique cette rencontre que vos retranscrivez. J’avoue avec honte que je ne sais pas si j’aurai réagi avec autant de bonté… Encore une fois vous montrez votre belle âme.

  9. Quand on ouvre un peu plus grand les yeux, on a la chance de faire ces belles rencontres… je les vois toujours comme une chance, un rappel à la vie et la chance que l’on a de vivre la notre. Merci pour ce récit Elisa, et je souhaite aussi à ce monsieur Lévy de rejoindre vite Granville

    • Oui, ils font un travail extraordinaire sans presque aucune subvention – malheureusement, les besoins augmentent chaque année alors même que cette action n’était pas destinée à être pérenisée.

  10. Tu m as fait couler ma petite larme , trop triste et trop émouvant….

  11. Une rencontre si change le regard que l’on peut porter sur les gens. Je sais que la vie peut basculer rapidement. Je le sais et le vois au travers de la vie de mère et avec ma soeur on a tenté de l’aider. On ne sait plus que faire et c’est horrible à dire, mais on baisse les bras.

  12. Ma chère Élisa, tu es un ange <3 Je comprends ton attitude, j'essaye toujours de répondre et surtout de sourire à ces personnes que la vie n'a pas épargné
    Je t'embrasse fort <3

  13. Je te suis depuis plusieurs années mais je ne commente jamais mais ton post m’a vraiment ému. C’est ce que j’aime tant dans ton blog, il y a des voyages, des rencontres, de la cuisine etc mais toujours énormément d’humanité. Toi non plus tu ne pourrais pas rentrer dans une case: ton cœur est trop grand pour y être enfermé!

  14. C’est joli et c’est triste. C’est pour ça que ça fait à ce point écho en moi je pense. J’aime observer les gens. Certains pensent qu’il n’y à que jugements à faire cela. Ce qui est faux. Apprendre, ressentir et essayer de comprendre ceux qui ne sont pas soi-même. Car enfin ils ont beau être des étrangers de ma vie, ils sont des habitants du même monde. Merci d’avoir gonflé ma collection de merveilleux personnages, pourvu qu’il aille bien.

  15. Moi aussi j’ai eu les larmes aux yeux. On se laisse bien trop souvent se renfermer sur la misère des autres. Elle n’est pas contagieuse pourtant. Et 5 minutes de notre temps peu des fois alléger tant de peine. Il faut juste savoir le prendre.

  16. Granvillaise, j’espère le croiser en compagnie de sa maman ! Très touchant, nous faisons rarement attention aux gens qui nous entourent

  17. J’aime cette façon de raconter ce que tu vis. C’est beau et touchant ! L’âme humaine est capable du pire mais aussi du meilleur !
    Christine

  18. C’est tellement agréable de vous lire Elisa.
    Il est tard dans la nuit et je parcours vos articles, sans m’en lasser.
    Vous m’avez l’air d’une femme si douce.. Comme j’aurais aimé avoir une mère comme vous.

    Je vous embrasse.

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *